Parmi les régimes détox ou juicing, le jeûne a pris de l’ampleur. Est-ce une bonne idée ou une hérésie alimentaire?
Radical, aux vertus thérapeutiques reconnues en Allemagne, le jeûne est-il une bonne alternative aux régimes, aux détox à base de jus (juicing) ou une totale hérésie alimentaire? Y’a-t-il des risques à jeûner? Comment s’y mettre? L’Express Styles vous explique tout sur cette méthode drastique avec le docteur Françoise Wilhelmi de Toledo et les conseils du médecin nutritionniste Jacques Fricker.
Tout le monde jeûne sans le savoir
Le jeûne est naturellement présent dans nos vies. Nous jeûnons tous, très régulièrement et sans même nous en rendre compte: pendant le sommeil. Il y a aussi les lendemains de fêtes difficiles, les journées suivant un festin et les moments où l’on perd l’appétit à cause d’un virus. En l’absence de sensation de faim, ou en cas de dégoût passager pour la nourriture, on se met spontanément en pause. L’être humain n’est pas le seul à faire cela, on retrouve dans le règne animal beaucoup d’exemples de jeûnes: les oiseaux migrateurs jeûnent pendant leur traversée vers les pays chauds; un oiseau aussi petit que le colibri peut parcourir une distance de 650 à 1000 kilomètres sans manger; un chien ou un chat malade ne touche pas au contenu de sa gamelle, etc. Le jeûne est chez eux un réflexe naturel de guérison.
Dans quels cas jeûner?
Les indications pour jeûner sont nombreuses, en voici quelques-unes.
Pour perdre du poids. C’est la première raison qui vient à l’esprit, tant le lien entre arrêter de manger et perdre du poids est évident. Ce sont les calories en trop qui font grossir, donc un arrêt de l’apport calorique fait maigrir. Or les régimes restrictifs stricts peuvent provoquer un effet yo-yo: la perte de poids est rapide, mais lorsque l’on revient à une alimentation « normale », on reprend plus de kilos qu’avant. Le docteur Françoise Wilhelmi avance cependant que le jeûne, lorsqu’il est pratiqué dans le respect de la physiologie et de certaines règles de base, n’induit pas cet effet yo-yo. Les patients reviennent à leur poids de forme, sans kilos supplémentaires. Elle précise aussi que tout dépend du comportement alimentaire après le jeûne: manger de la junk-food, boire de l’alcool et bouder le sport sont les trois garanties de reprendre du poids, avec ou sans jeûne!
Pour faire une détox. Un jeûne, c’est la mise au repos du système digestif. Le corps s’adapte pour continuer à s’alimenter en énergie. Il utilise les graisses stockées dans le tissu adipeux et, dans une très faible mesure, les protéines comme carburant pour les cellules. Le jeûne entraîne ainsi une perte de graisse doublée d’une forme de nettoyage interne favorable au renouvellement des cellules.
Prévention de maladies graves?
Les partisans du jeûne lui prêtent des vertus préventives -et thérapeutiques- pour nombre de maladies: obésité, hyperlipidémie, stéatose hépatique, diabète de type 2, hypertension, artériosclérose. Sans oublier les maladies chroniques inflammatoires comme arthrite et arthrite rhumatoïde, les allergies, l’asthme ou la colite. Des affirmations non prouvées scientifiquement, à ce jour. D’ailleurs, le docteur Jacques Fricker prévient: « Cette pratique est dangereuse chez l’enfant et l’adolescent -car ils sont en pleine période de croissance- et après 65 ans, car il est plus difficile de refaire sa masse musculaire après un jeûne à cet âge. »
Jeûne et cancer
Une étude de Valter Longo, en 2012, au Centre de longévité de l’université de Caroline du Sud, a fait parler. Effectuée sur des souris suivant une chimiothérapie, elle avançait que le jeûne entraînerait une diminution des effets secondaires dus au traitement. Pour le docteur Hanah Lamallem, oncologue et radiothérapeute à Paris, les données sur le sujet sont contradictoires et peu nombreuses. S’il est « très positif que le patient s’implique dans le traitement de façon active », notamment en faisant attention à son alimentation, elle déplore certains comportements à risque: des patients, réconfortés par les bons résultats du traitement médicamenteux couplé à une alimentation restrictive (jeûne, juicing ou crudivorisme), ont décidé d’abandonner tout traitement médical et ont mis leur vie en danger. « Je suis ouverte à toutes les méthodes d’accompagnement complémentaires validées scientifiquement, ajoute-t-elle, confirmant également le manque de recherche sur le sujet: « L’industrie n’a rien à vendre, donc ne finance pas d’études. »
Quelles sont les contre-indications?
Le jeûne n’est pas conseillé aux enfants, aux personnes âgées et aux femmes enceintes, car ils ont besoin d’apport régulier de nutriments. Les personnes sous traitement médicamenteux ou celles souffrant de désordres alimentaires ou de maladies de la thyroïde doivent impérativement jeûner avec accompagnement d’un médecin formé. Quelle que soit votre condition physique, un accompagnement compétent et un suivi sont nécessaires pour réussir.
Comment procéder?
La durée idéale d’un jeûne dépend de l’âge, de la corpulence et de l’état de santé de chacun. Voici un détail des différentes phases, avec les apports nutritionnels tels qu’ils sont proposés dans les cliniques Buchinger Wilhelmi en Allemagne.
Le « decrescendo« alimentaire progressif. Un à deux jours avec deux ou trois repas légers, sans alcool, café ou viande. Un jour de repas type monodiète avec riz, fruits ou de pommes de terre. Des tisanes et de l’eau à raison de deux litres ou plus par jour.
La phase de jeûne. Jus de légumes ou de fruits (1/4 de litre/jour) et un de bouillon de légumes (1/4 de litre/jour). Eaux et tisanes (2l/jour au moins). À noter que ces quelque 250 calories ne sont qu’un supplément, le combustible des cellules en jeûne étant la graisse contenue dans les tissus des jeûneurs.La durée de cette phase dépend de chacun et peut durer de une journée à six semaines avec encadrement médical affirme le docteur Wilhelmi de Toledo.
La reprise alimentaire progressive. Le premier jour de reprise alimentaire, on reste très léger: une pomme dans la matinée et 4 noisettes ou 4 noix de cajou, dans l’après-midi 1 pomme ou une compote de pomme. Le soir: un potage carottes-pommes de terre. Bref, un festin! Les repas des trois jours suivants seront constitués de porridge d’avoine avec de la compote pour le petit déjeuner, le midi d’une assiette de crudités, de légumes cuits, de pommes de terre avec un filet d’huile de noix, et le soir, de légumes et de céréales comme riz ou millet. Le tout en très petites portions. Toutes sortes d’adaptations sont possibles en fonction des situations individuelles durant ces 4 jours de réalimentation.
Quels bénéfices pour le corps?
Les bénéfices physiques, selon les adeptes du jeûne, seraient les suivants: perte de poids, meilleur aspect de la peau, des cheveux, regain d’énergie et humeur positive sont les signes extérieurs d’un bien-être intérieur.
Quels bénéfices psychologiques?
On peut espérer une amélioration de son humeur avec un jeûne fait dans de bonnes conditions. Selon le docteur Wilhelmi de Toledo, les gens en état de burn-out, de fatigue ou d’état dépressif, trouveraient une amélioration de leur niveau énergétique: ce serait « comme appuyer sur la touche ‘reset’ ». « Il faut néanmoins, précise-t-elle, que la personne jouisse encore de forces de régénération, donc avoir assez d’énergie, pour tirer les bénéfices d’un jeûne. »
C’est aussi l’occasion de connaître mieux son corps, d’observer son rapport avec le très naturel instinct de conservation qui nous pousse à manger, de repousser ses limites en faisant quelque chose que bien des gens considèrent comme impossible. Cela semble aujourd’hui un peu contre-intuitif.
Un jeûne interrompt tous les schémas comportementaux habituels et l’on apprécie plus le poireau, la pomme ou la soupe de légumes car les sens sont affinés, les aliments sains sont de nouveau délicieux. C’est comme une remise à zéro de nos perceptions gustatives pour redécouvrir le plaisir de manger des choses simples.
Quels sont les risques?
Jeûner pour une courte période sans encadrement médical mais aidée par une personne formée peut être envisagé si vous êtes jeune et en bonne santé. Pour une session plus longue, il est indispensable d’être accompagné d’un professionnel de santé, du début du jeûne à la reprise alimentaire, surtout si vous souhaitez le faire dans un but thérapeutique et que vous prenez des médicaments. « Un à deux jours de jeûne ne représentent pas d’intérêt particulier mais il n’y a pas de danger à le pratiquer, précise le docteur Jacques Fricker. Il faut simplement s’assurer avec son médecin, même pour deux jours, qu’il n’y a pas réaction avec les médicaments ou de contre-indication. » En effet, jeûner fait baisser la glycémie et la pression artérielle et en cas de prise simultanée de médicaments pour la tension artérielle ou le diabète. Il y a alors de gros risques de surdosage. « À court terme, le jeûne induit également un retard de cicatrisation car la peau manque d’acides aminés pour refaire des tissus. Il y a également des risque d’infection car on produit moins d’anticorps », ajoute le docteur Fricker.
Le risque cardiaque. « Le risque principal [du jeûne] concerne le coeur, qui est un muscle et a besoin de protéines pour se construire, avertit le docteur Jacques Fricker. Le jeûne fait perdre de la masse musculaire à cause de l’arrêt de protéines. Il y a donc un risque d’arrêt cardiaque car le coeur fonctionne moins bien. C’est une manifestation rare, mais il faut être très vigilant. » De son côté, le docteur Wilhelmi de Toledo rétorque: « Dans les cliniques du jeûne -soit cinq mille personnes par an, dont 75% jeûnent en moyenne 2 semaines et cela depuis 1953- nous n’avons observé aucun cas de mort par arrêt cardiaque dû à une perte de myocarde. Au contraire, la performance physique s’améliore au cours d’un programme de jeûne Buchinger Wilhelmi et les personnes peinant dans les côtes, les montent plus facilement après quelques jours. »
Les calculs biliaires ou rénaux. L’autre point que soulève le docteur Jacques Fricker, c’est le risque de calculs biliaires ou rénaux après 3 semaines de jeûne: « Le corps manque de graisses, qui habituellement aident à vidanger de la vésicule biliaire. Par ailleurs, la perte de poids rapide augmente la production d’acide urique. Ce dernier étant éliminé par les reins, une surcharge peut être la cause de calculs.
Heureusement, il y a un nombre important de personnes qui jeûnent sans vivre cela, mais la vigilance est de mise. » Le docteur Wilhelmi de Toledo précise: « Dans une observation de près de 400 personnes ayant jeûné plus de 10 fois dans leurs vie, durant 2 à 3 semaines, aucun cas de calcul biliaire n’a été rapporté pendant ou après le jeûne. En revanche, l’expulsion spontanée de calculs rénaux préexistants dans les premiers jours de jeûne a été -dans des cas isolés- observée et les patients ont reçu un traitement adéquat. Pour prévenir la cristallisation de l’acide urique au niveau du rein -et donc la création de calculs-, on recommande aux jeûneurs de boire 2 litres d’eau par jour ou plus. » En cas de risques de calculs, il faut parfois coupler cette mesure avec les médicaments adaptés.
Le jeûne dans les religions
Chaque grande religion enseigne et perpétue une tradition du jeûne: carême chez les chrétiens, ramadan chez les musulmans, yom kippour chez les juifs et jeûnes réguliers chez les hindouistes. Le renoncement à la nourriture est perçu comme une pratique de purification du corps et de l’esprit. Il conduit à une forme de dématérialisation, qui selon les adeptes, permet de se rapprocher de l’essentiel et de resserrer les liens des communautés par des rituels et des prières.
Que faut-il retenir?
Il faut adapter son jeûne selon sa situation individuelle. « Pour les patients fragiles, amaigris ou les personnes âgées, il est plus intéressant de faire une restriction calorique pauvre en sucre et en protéines animales un ou deux jours par semaine, une monodiète (un seul aliment) un ou deux jours ou un repas, ou une alimentation crue (à adapter selon la tolérance de chacun aux fibres), conseille le docteur Wilhelmi de Toledo. Toutes ces solutions permettent d’aider le corps à se régénérer sans le priver de nutriments. »
Pour le docteur Jacques Fricker, « un à deux jours de jeûne ne représentent pas d’intérêt particulier mais il n’y a pas de danger à le pratiquer (à condition de ne pas être un enfant ou un adolescent ou âgé de plus de 65 ans). Il faut simplement s’assurer avec son médecin, même pour deux jours, qu’il n’y a pas réaction avec les médicaments ou de contre-indication. Dans le cas où l’on jeûne spontanément par manque d’appétit, il faut respecter cette autorégulation: le corps reconnaît ses besoins, il ne faut donc pas se forcer à manger. »
sources : http://www.lexpress.fr/styles/forme/le-jeune-ce-qu-il-faut-savoir-avant-de-se-lancer_1809023.html